Anglicisation vs. anglicisme
Quelle est la différence?
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C’est quoi, l’anglicisation?
Aujourd'hui, je vais vous parler d'un terme qu'on entend souvent au Québec, c'est l'anglicisation. On parle d'anglicismes, on parle d'anglicisation du Québec ou de Montréal.
Qu'est-ce que ça veut dire exactement?
Premièrement, le sens du mot anglicisation n'est pas le même en anglais qu'en français.
En anglais, ce mot veut dire quelque chose de différent.
Anglicisation or anglicization is the practice of modifying foreign words, names, and phrases to make them easier to spell and/or pronounce in English
En français, c'est un peu compliqué…
Premièrement, on va essayer de voir c'est quoi la différence entre un anglicisme et et l'anglicisation.
Les anglicismes
Un anglicisme, c'est un mot, une expression, une construction qui est propre à la langue anglaise.
Premièrement, on a des anglicismes très simples qui sont seulement des mots en anglais qu'on utilise en français. Il y a des mots qui existent depuis longtemps, qui ont été adoptés par le français. Par exemple, le mot week-end. (Bien qu'au Québec, on utilise souvent le mot fin de semaine pour dire week-end.)
Et il y a des anglicismes plus récents, par exemple, dans le langage populaire, on pourrait dire c'est nice ou c'est cool ou c'est chill, qui seraient des mots d'anglais qu'on utilise tout simplement en français.
Il y a des anglicismes un peu plus difficiles à reconnaître qui sont les anglicismes syntaxiques, ou anglicismes de structure, parfois on les appelle aussi des calques de l'anglais, qui sont des traductions mot-à-mot d'une expression ou d'une structure qui vient clairement de l'anglais.
On critique plus souvent ce type d'anglicisme parce qu'ils déforment un peu la structure de la langue et font oublier des expressions qui existent déjà en français.
Par exemple, en anglais, on dit “throw the towel” pour abandonner et en français, on dit jeter l'éponge.
Mais on entend souvent maintenant jeter la serviette, qui est un anglicisme.
Même chose pour à la fin de la journée, qui vient de l'anglais “at the end of the day”, qui veut dire en fin de compte, qui serait l'expression en français qu'on devrait utiliser.
Ce que l’anglicisation n’est pas
L'anglicisation, ce n’est pas le fait d'utiliser des anglicismes.
Ce n'est pas non plus le fait d'être bilingue, c’est-à-dire de parler aussi bien l'anglais que le français.
Ce n’est pas non plus de parler l'anglais au quotidien, par exemple dans son travail.
Qu'est-ce que c'est que l'anglicisation?
L'anglicisation, ça peut être vu à l'échelle d'une société ou à l'échelle de l’individu.
À l'échelle d'une société, l’anglicisation est le processus pour une population de perdre sa langue maternelle au profit de l'anglais
Ça peut commencer dans les lieux de travail, où l’anglais devient de plus en plus nécessaire.
Dans la vie quotidienne, il peut être de plus en plus difficile de se faire servir en français.
Parfois, ses gens qui nous parlent en français parlent une sorte de franglais ou une traduction de l'anglais – une langue qui n’est pas facile à comprendre.
Et finalement, on voit de l'anglais partout, on l'entend partout.
Bref, l'anglicisation à l'échelle d'une société, c'est le remplacement progressif du français par l'anglais.
L’anglicisation des personnes
Mais j'aimerais qu'on parle plutôt des individus, parce que c'est intéressant de voir comment ce processus d'anglicisation peut s'opérer.
On a toutes sortes de définitions possibles ici. Voici la mienne.
Un individu anglicisé est une personne qui a comme langue maternelle le français, mais qui, pour diverses raisons, maîtrise mieux l'anglais une fois à l'âge adulte, le parle avec moins d'efforts, préfère l'utiliser et possiblement en faire la langue principale parlée à la maison et la langue que cette personne va transmettre à ses enfants.
Normalement, on observe ce phénomène chez les gens qui habitent à l'étranger. C'est un processus presque inévitable qui s'effectue sur plusieurs générations.
Normalement, la première génération d'immigrants arrive à garder sa langue maternelle et la transmission se fait peut-être à la deuxième génération, mais cette deuxième génération le parle moins bien. Ensuite, la troisième génération peut perdre complètement la langue maternelle et le lien avec la culture d'origine.
Quand l'anglicisation se produit dans le pays où la personne habite, c'est quelque chose de différent
C'est un processus qu'on peut observer chez certains francophones au Québec.
Il y a un article intéressant publié par un chercheur sur la question linguistique qui s'appelle Frédéric Lacroix et qui parle de l'anglicisation à Laval (Laval est une ville très proche de Montréal, sur l'île d'à côté).
À Laval, le français est une langue en chute libre sur le plan symbolique, au point où les jeunes francophones, socialisés dans un univers numérique anglophone et dans une « province » qui dévalorise implicitement et presque ouvertement sa seule langue officielle, subissent déjà, à 17-18 ans, une érosion de leur vocabulaire de base dans cette langue alors qu’ils trouvent facilement les mots en anglais. Disons-le : à Laval, chez les jeunes, l’assimilation collective à l’anglais est en marche.
(…)
Il y a belle lurette que la régression du français a largement dépassé la simple notion de vocabulaire emprunté de l’anglais.
Aujourd’hui, on fait passer pour des « anglicismes » des termes qu’on refuse simplement de traduire adéquatement. Ainsi, dans certains travaux étudiants, on peut lire des phrases comme : « C’est à ce moment que le policier a pris son « gun » » ou encore « Elle marchait tout bonnement sur le « sidewalk ». On ne parle pas ici d’anglicismes comme « timing » ou « brainstorm », qui seraient déjà plus faciles à accepter en raison de traductions plus ou moins évidentes. On parle de termes ayant des équivalents français directs, mais pour certains, qui en oublient leur vocabulaire français, le terme en anglais leur vient naturellement et ils n’essaient même pas de le retraduire vers le français.
Frédéric Lacroix parle d'une “aliénation linguistique”
Remarquez le processus d’aliénation linguistique : une personne francophone, qui a grandi en français toute sa vie, finit par oublier des termes de vocabulaires aussi simples que « fusil » et « trottoir », mais les identifient très facilement en anglais. Déjà, on peut repérer un problème majeur, mais c’est pire que cela : la personne en vient à ne même plus tenter une traduction en français pour réappliquer le vocabulaire qu’elle a pourtant toujours su. Lorsque questionnés sur ces mots anglais intégrés au sein d’une phrase en français, certains étudiants se défendent candidement : « Mais monsieur, c’est ok, j’ai mis des guillemets! » ou encore « Mais monsieur, vous avez compris ce que je voulais dire! »
Je pense qu'on peut clairement distinguer la différence entre l'anglicisme et le processus d'anglicisation.
Quand Éric Lapointe chante Loadé comme un gun, on pourrait dire que c'est exactement la même chose que ces étudiants à Laval font, mais à mon avis, ce n'est pas pareil.
Éric Lapointe utilise ces mots d'anglais pour reproduire le langage populaire et pour créer un effet, mais je suis certain qu'il est capable d'utiliser ces mots en français et qu'il les connaît très bien.
Dans l'autre cas, on a des élèves qui probablement ne se rappellent même plus de comment dire les mots en français.
Un peu plus loin, Frédéric Lacroix écrit
Dans les discussions orales, même son de cloche : les étudiants se parlent fièrement en anglais dans les corridors ou même en classe. Et avant qu’on ne réitère le sempiternel faux argument qui cherche à minimiser ce phénomène sous prétexte que « mais c’est bien qu’ils pratiquent leur anglais », mettons les choses au clair : ce n’est pas de la « pratique ». Ces conversations sont légion et n’ont rien d’un exercice formateur ou pédagogique. Exemple de conversation entendue à la cafétéria : « And then I was like, you know, oh my god! I can’t believe you just said that, you bitch! No way! That girl needs to chill out big time… »
Pour moi, ça aurait été impensable, au même âge, d'avoir cette conversation en anglais parce que ça n'aurait pas paru naturel!
D'ailleurs, avec tous mes amis, avec toute ma famille, ce ne serait pas naturel de parler anglais.
On pourrait me critiquer et dire, ben Fred, on dirait que tu critiques le bilinguisme, mais ce n'est pas ça que je veux dire.
Je veux dire que l'anglicisation c'est le fait de perdre sa langue maternelle.
C'est le fait de trouver plus facile de parler anglais que de parler français. Et quel est le problème?
Le problème pour l’individu anglicisé
À mon avis, il est préférable d'être bilingue et de maîtriser les deux langues sans perdre sa langue maternelle. Quand on perd sa langue maternelle, on perd quand même quelque chose d'important.
On perd un lien avec la culture et ça veut dire un éloignement de ses racines culturelles, de ses traditions, des expressions idiomatiques et même de l'histoire associée à notre langue.
Et on perd aussi ses racines familiales parce que la langue maternelle est celle qui est parlée en famille et on peut perdre cette connexion qui peut créer un fossé entre les générations. Ma mère me le dit souvent, elle ne comprend plus certaines émissions à la télévision. À mon avis, c'est parce que dans plein d'émissions, il y a tellement de mots anglais qui sont utilisés à travers des phrases en français qu’elle ne comprend plus rien parce qu'elle ne parle pas l’anglais.
Une personne qui perd sa langue maternelle peut se sentir isolée de ses propres communautés linguistiques. Autrement dit, les autres Québécois qui ont gardé leur langue maternelle vont un peu juger cette personne comme étant non francophone et ça peut créer le sentiment d'être déconnecté de ses origines.
Ça peut créer une sorte de conflit d'identité, de double appartenance parce qu'on ne sait pas finalement à quelle culture on appartient et une sorte de culpabilité qui peut se manifester plus tard de ne pas pouvoir transmettre cette langue à nos enfants parce qu'on la parle mal finalement.
Donc, qu'est-ce que vous en pensez? J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'anglicisation.
Est-ce que c'est un phénomène que vous avez observé au Québec ou ailleurs dans le monde et qu'est-ce qu'on pourrait faire pour y remédier?





J’espère que cette question ne prête pas à controverse. Alors qu’il est probablement plus logique pour quelqu’un de ma génération de se concentrer sur une meilleure compréhension du joual dans le cadre du français québécois, penses-tu qu’il en est de même pour les jeunes qui déménagent au Québec? Si l’on adopte un point de vue simplement utilitaire, est-il possible qu’il soit plus utile de maîtriser le français tel qu’il est de plus en plus parlé à Laval? Alors que Frédéric Lacroix considère que Laval s’anglicise de plus en plus, je soupçonne qu’il me serait tout aussi difficile de comprendre une conversation entre deux adolescents «anglicisés» à Laval que de comprendre une conversation entre deux personnes de 80 ans au Saguenay qui utilisent le joual. Encore une fois, je m’intéresse simplement à ce qui serait le plus utile en termes de communication.
Es-tu prêt à élargir ta description du problème de l’individu anglicisé à celui de l’individu francisé lorsqu’il s’installe au Québec ? Ce serait aussi un problème, ou est-ce le résultat voulu de la politique gouvernementale ? La plupart des Québécois considéreraient-ils comme préjudiciable que les immigrants aient de la difficulté à faire parler leur langue maternelle à leurs enfants ? Ou bien ce problème concerne-t-il uniquement la langue anglaise ? 😉
Le Devoir a publié le 27 juillet un article intitulé « Le français est-il envahi par les anglicismes ? » Il évoque des recherches qui montrent que l’anglais a beaucoup moins « envahi » la langue française qu’on ne le croit généralement et subjectivement.
https://www.ledevoir.com/opinion/idees/817171/point-langue-francais-est-il-envahi-anglicismes