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Pourquoi le français est menacé au Québec?
Aujourd'hui, on va parler de la langue française au Québec et je vais essayer de répondre à la question est-ce que la langue française est menacée au Québec et ce que j'entrevois pour le futur.
À la question « Est-ce que la langue française est menacée au Québec? », je réponds que oui.
Je pense qu'on peut dire clairement que la langue française a toujours été menacée au Québec et que ce n'est pas nouveau, ce débat. On en parle depuis longtemps.
Les faits sont assez simples
Nous sommes 7 ou 8 millions de personnes dans un continent de plus de 300 millions de personnes qui est pratiquement complètement anglophone.
Souvent, on dit que les Québécois sont comme un petit village gaulois dans une mer anglophone.
Et quand on dit un petit village gaulois, on fait référence à la bande dessinée Astérix.
Dans la bande dessinée Astérix, on a Rome et l'Empire romain, mais il y a un petit village gaulois, dont font partie Astérix et Obélix et tous les héros de la bande dessinée, qui résiste à l'envahisseur romain.
Leur secret est une potion magique qui leur donne des pouvoirs et une force incroyable et ils peuvent combattre l'ennemi romain très facilement. Donc ils résistent à l'assimilation, ils résistent à l’envahisseur.
Et c'est ce qu'on dit du Québec, du Québec francophone. C'est que, en fait, c'est un petit village gaulois dans une mer anglophone et que c'est presque un miracle qu'on a réussi jusqu'à maintenant à garder notre langue, à la conserver. sans subir une assimilation.
Mais le français a toujours été menacé au Québec.
C'est-à-dire qu'il y a toujours eu une pression incroyable de l'anglais et une pression qui ne s'est pas affaiblie avec le temps.
La situation est un peu différente d'il y a 50 ans, mais c'est un peu le même débat et le même problème qui continuent.
Ce que j'aimerais faire en premier est vous parler des raisons nombreuses qui font que le français est menacé au Québec.
Et ensuite, on va regarder certains aspects positifs.
La natalité
Le premier aspect intéressant, c'est celui de la natalité.
Il y a une expression quand on parle de l'histoire du Québec, c'est la revanche des berceaux.
Un berceau, c’est le petit lit dans lequel dort un bébé, un berceau.
Et la revanche des berceaux, ça fait référence à la natalité incroyable des Canadiens français il y a environ 100-150 ans.
Donc, à un certain moment, l'Église catholique au Québec a décidé d'encourager tous les catholiques canadiens français à avoir beaucoup d'enfants.
Et si vous parlez un peu à des Québécois, ils vont vous parler de leurs grands-parents, de leurs arrière-grands-parents qui avaient des familles très, très, très nombreuses.
Par exemple, ma famille, du côté de ma mère, mes grands-parents étaient une famille de dix enfants, au moins, je pense. Au moins dix qui ont survécu, sans parler de ceux qui qui sont morts-nés, etc., mais dix enfants qui ont grandi et qui ont, chacun, eu des enfants et fondé une famille.
Du côté de mon père, il y a seulement une génération, donc je ne parle pas de mes arrières-grands-parents, je parle de mes parents… Mon père avait cinq frères et sœurs, donc ils étaient une famille de six. Et là, on parle d'une génération née dans les années 40-50, donc même sans parler des générations nées avant.
On est passé d'une population moins importante à une population plus importante et ce fait de la natalité féconde des Canadiens français a contribué à la vitalité de la population québécoise en sol canadien.
Et aujourd'hui, c'est tout le contraire.
Le Québec, comme beaucoup de pays occidentaux, a un très bas taux de natalité, un taux de natalité qui ne suffit pas à renouveler sa population sans apport de l'immigration.
Autrement dit, on est en deçà du 2,1 enfants par famille et donc (ou par femme en fait), et donc, sans apport de l'immigration,
Nouvelles personnes qui arrivent au Québec de l'étranger, la population du Québec diminuerait. Donc ça, c'est le premier facteur.
On est passé d'une natalité très importante à un taux beaucoup, beaucoup plus bas qui correspond, par exemple, à ce qu'on voit dans les pays européens.
Donc c'est pas une situation unique, ce qui se passe au Québec.
On peut observer la même chose dans les pays européens.
L’immigration qui s’assimile à l’anglais
Ensuite, qui dit taux de natalité bas dit nécessité, comme j'ai dit, de l'immigration.
Et évidemment, la population qui grandit par force de l'immigration peut s'assimiler de différentes façons.
Donc, une partie de l'immigration ne s'assimile pas nécessairement au français et va plus choisir de vivre en anglais, où quelque chose entre les deux. Donc sans aller dans des détails de recherches scientifiques, ici je vous donne un portrait général. Donc il y a une certaine partie de l’immigration qui ne s’assimile pas vraiment au français. Et donc ça contribue à affaiblir la force de la langue française au Québec.
Par exemple, si on va dans certaines régions, surtout dans la grande région de Montréal, on peut observer qu'une grande partie des gens semblent vivre en anglais.
Et souvent, ce ne sont pas des gens qui sont nés au Québec.
Donc, par exemple, on parle beaucoup de l'anglicisation de Laval et de Montréal.
Évidemment, ça dépend des quartiers, mais il y a beaucoup de quartiers à Laval, à Montréal, et pas seulement dans l'ouest de Montréal où l'anglais prédomine.
Souvent, les gens qui s'installent ici vont penser que leurs enfants pourront apprendre deux langues facilement.
Donc, ils choisissent souvent d'envoyer leurs enfants dans un parcours d'éducation plutôt anglophone et en pensant qu'ils vont apprendre le français ailleurs.
Mais souvent, ce qui se passe, c'est que l'anglais devient la langue prédominante, et le français est une langue que ces enfants vont maîtriser beaucoup moins, et donc leurs propres enfants, troisième génération, vont plutôt parler anglais.
La mondialisation
Ensuite, on a le facteur de la mondialisation et du travail en anglais.
Et ça, ça se limite pas seulement au Québec.
J'avais lu, il y a quelques années, un article intéressant dans un journal allemand.
C'était une journaliste anglaise qui avait passé vingt-quatre heures à Berlin en parlant seulement anglais et en essayant de trouver des gens qui habitaient à Berlin depuis longtemps sans jamais avoir appris l'allemand.
Et évidemment, elle a trouvé ces gens-là, elle a trouvé des gens qui travaillent dans des cafés et qui n'ont jamais vraiment appris l'allemand.
Et elle a fait ce travail de recherche plutôt informel sur le terrain, suite à une affirmation d'un député du Reichstag allemand qui avait dit que c'était devenu assez gênant que dans certains quartiers de Berlin, on ne puisse plus se faire servir en allemand. (C'était ce qu'il avait dit.)
Donc, évidemment, la situation n'est pas vraiment comparable à Montréal, mais on peut voir que dans la plupart des grandes villes, Berlin, Paris, Barcelone, Amsterdam et d'autres encore, une partie des gens travaille en anglais, qui n'apprennent pas vraiment la langue commune à cause de cette idée de la mondialisation.
On n'est plus dans le même monde d'il y a 50 ans.
Donc c’était… ça aurait été inimaginable il y a 50 ans d'arriver à Berlin et ne pas apprendre l'allemand parce que c'était une question de survie.
Mais maintenant, il y a des petits ghettos qui se forment, des ghettos d'expatriés dans plusieurs villes du monde et l'on peut très bien survivre en parlant seulement l'anglais.
Et aussi, il y a le fait que plusieurs compagnies sont maintenant internationales.
Donc, elles choisissent des endroits où s'installer en fonction des avantages fiscaux, en fonction de plein de facteurs, et pas nécessairement en fonction de la culture ou de la langue.
Donc, ces compagnies vont s'installer dans une ville et vont fonctionner en anglais, même si elles sont dans un pays qui n'est pas anglophone.
Et on voit ce phénomène non seulement à Montréal, mais aussi dans d'autres grandes villes du monde.
Les GAFAM
Ensuite, on a les GAFAM.
Les GAFAM, ce sont les grosses compagnies.
Par exemple, Google, Amazon, Facebook, Apple et je ne me souviens plus le dernier M fait référence à quoi (à Microsoft, bien entendu!)
Donc, les grosses compagnies qui contrôlent l'information de nos jours.
L'information était distribuée avant à travers les médias et les médias étaient composés ou sont composés de journalistes qualifiés qui font un peu le tri de cette information.
Il y avait une certaine uniformisation de l'information et des produits culturels.
On pense par exemple aux télévisions et aux radios d'État au Canada, Radio-Canada, les postes de télévision au Québec.
Et maintenant, le monde du divertissement et de l'information est plutôt contrôlé par les fameuses GAFAM.
Donc, on pense par exemple à Netflix.
Les gens, partout à travers la planète, regardent Netflix.
Mais qu'est-ce que ça fait?
Si on compare le monde d'avant au monde d'aujourd'hui, c'est comme si à peu près toute la planète regarde les mêmes choses, regarde les mêmes émissions produites par les mêmes compagnies.
Donc, il y a comme une uniformisation de la culture.
Partout sur la planète, les gens consomment. les mêmes produits de séries télévisées, de films, etc. Et la culture locale se distingue un peu moins.
On a parlé récemment dans les journaux au Québec du fait que les jeunes aujourd'hui ne s'intéressent plus à la télévision québécoise.
Donc tous les organismes culturels locaux ont de la difficulté à se mesurer à ces GAFAM.
Les écrans et l’éducation des enfants
Ensuite, on passe à un autre facteur qui sont les écrans et l'éducation des enfants.
Les gens lisent de moins en moins, les gens consomment de l'information des mêmes sources comme Netflix, Facebook, Instagram, et en plus, les gens sont de plus en plus accros aux écrans et l'éducation des enfants est de moins en moins basée sur les livres et de plus en plus détournée vers les écrans.
Et ce que ça fait c’est que notre attention est dirigée vers des produits conçus par des compagnies internationales qui, on doit le dire, se foutent un peu de la culture.
Leur objectif est de maximiser les profits.
Donc oui, Netflix va un peu investir pour faire quelques films québécois, mais c'est pas leur priorité.
Leur seule et unique priorité, c'est de rentabiliser leurs profits. Ce n'est pas d'offrir des produits culturels intéressants et représentatifs de la culture de chaque pays.
Les enfants qui lisent de moins en moins sont de plus en plus déconnectés de la culture du pays, donc de plus en plus connectés à une culture internationale.
Évidemment, une grosse, grosse partie de cette culture et de ses produits culturels est en anglais.
Les 100% francophones
Autre facteur, le bassin de gens 100 % francophones se meurt.
Quand j'ai étudié la sociologie des langues à l'université, une chose qui m'avait frappé, c'était les facteurs qui font qu'une langue reste vivante et les facteurs qui font qu'une langue a tendance à disparaître.
Et un des facteurs importants pour la vitalité d'une langue, c'est qu'il y ait dans un pays un bassin de gens 100 % locuteurs de leur langue et qui ne sont pas bilingues, donc des gens qui parlent uniquement la langue, qui sont unilingues.
Et ça peut paraître un peu bizarre, mais le bilinguisme est un avantage à l'échelle de l'individu, mais à l'échelle de la société, le bilinguisme a tendance à être une étape intermédiaire vers l'unilinguisme.
Donc si on pense à plusieurs pays qui ont une langue très puissante et où il est pratiquement impossible d'aller habiter dans ce pays sans apprendre la langue, on va remarquer que dans ces pays, il y a quand même un bassin important de gens qui sont unilingues et qui parlent seulement leur langue maternelle.
Les États-Unis, par exemple, le monde hispanophone, le Brésil, la Russie et même, on pourrait dire, la France et l'Allemagne.
Avec le vieillissement de la population, ce bassin de gens 100% unilingue, francophone au Québec est en train de disparaître.
Ça veut dire qu'il y a de moins en moins de gens qui ne sont pas vraiment influencés par l'anglais, mais en plus qui exigent des contenus en français.
Si je pense par exemple à mes parents, mon père est décédé, mais il ne parlait pas très bien l'anglais et ma mère le parle encore moins.
Donc, pour ma mère, c'est très important que tout soit en français, qu'elle puisse fonctionner en français, que les services soient offerts en français, que ses divertissements, que toute sa vie puisse se passer en français. Pour elle, ce n'est pas une question de choix, c'est une question de survie, parce qu'elle a essayé depuis longtemps d'apprendre l'anglais, mais elle a commencé trop tard et elle n'a jamais réussi.
Quand on a des gens comme ça, ça force en fait la société à se plier à l'exigence linguistique d'avoir le français, par exemple, au Québec comme une langue importante et vivante.
Mais si les gens sont bilingues, on peut très bien se contenter de recevoir des services en anglais sans rechigner.
C'est pas tout le monde qui voit la langue comme quelque chose d'important, comme quelque chose pour laquelle on devrait se battre.
Donc, un bassin de francophones unilingues assure la vitalité de la langue. Quand les gens deviennent de plus en plus bilingues, ils peuvent se laisser convaincre de délaisser pratiquement leur langue maternelle pour utiliser la langue d'usage qui serait l'anglais sans se plaindre, sans exiger que le français soit présent.
Ce qui m'amène au prochain facteur qui fait que la langue française est menacée au Québec, c'est le bilinguisme.
Le bilinguisme
Donc, le bilinguisme, ça peut paraître une bonne chose dans un sens, mais ça fait que la langue devient optionnelle.
Donc, si on se promène à Montréal, on a tendance à remarquer que tout est écrit en anglais et en français.
Tandis que quand on sort de Montréal, quand on va dans le reste du Québec, généralement, tout est écrit en français sans devoir le traduire en anglais.
C'est comme si à Montréal, de facto, on croit important de tout traduire en anglais.
Ce qui fait que la langue devient optionnelle, la langue française devient optionnelle.
Le bilinguisme a tendance à rendre une langue optionnelle et éventuellement obsolète.
La fragilité des lois linguistiques
Ensuite, on a la fragilité des lois linguistiques.
Les lois linguistiques, par exemple la loi 101 et les nouvelles lois qui ont été instaurées récemment, assurent une certaine vitalité du français.
Ces lois ont toujours été controversées, mais ont fonctionné.
Ces lois font qu’il est illégal d'avoir un affichage complètement en anglais.
Grâce à la loi 101, plusieurs enfants ont eu une éducation complète en français parce qu'ils n'avaient pas le choix, parce que leurs parents n'avaient pas le choix de les envoyer à une école anglaise ou française.
Ils ont dû choisir pour l'éducation en français jusqu'à la fin du secondaire à cause de la loi 101.
Il y a des exceptions à la loi 101. Si les deux parents sont anglophones, ils peuvent envoyer leurs enfants à une école anglophone. Mais autrement, les enfants doivent aller à une école francophone.
Et ça fait que, même si ces lois sont controversées, elles ont fonctionné, elles ont créé des générations complètes de nouveaux francophones, qu'on appelle souvent les enfants de la loi 101.
Mais toutes ces lois sont assez fragiles parce qu'il suffirait qu'un gouvernement se fasse élire et choisisse de les abolir, qu'elles disparaîtraient du jour au lendemain.
Et si, par exemple, une loi comme la loi 101 était abolie ou abrogée, on aurait un changement radical dans la société québécoise et le français serait de plus en plus menacé, à mon avis.
La vision multiculturaliste du Canada
Avec la fragilité des lois linguistiques, on a aussi la vision multiculturaliste du Canada.
On est passé d'une vision du Canada bilingue à une vision d'un Canada multiculturel.
Et la grosse différence dans tout ça, c'est qu'avant, on voyait le Canada comme ayant deux peuples fondateurs, les Français et les Anglais, donc ça a mené au bilinguisme à l'échelle fédérale du Canada, mais aussi à cette reconnaissance du fait français au Canada et de son importance.
La vision multiculturaliste est un peu différente. C'est une vision où chaque culture a sa place, où la culture d'accueil n'a plus vraiment d’importance. C'est ce qu'on appellerait en anglais le melting pot, mais sans le melting part of it.
Ce que je veux dire, c'est que le Canada, dans cette vision, serait un territoire prêt à accueillir différentes cultures qui peuvent garder leurs coutumes et leurs langues et qui vont, tout le monde, vivre ensemble de façon harmonieuse.
Ce qui fait que les francophones, dans ce monde multiculturel, sont simplement un groupe minoritaire parmi tant d’autres. Ils n'ont pas plus d'importance.
Donc, le problème, c'est qu'à long terme, en fait, tout ce beau monde s'assimile à l’anglais. Même si on dit “Ah oui, on a un pays vaste, tout le monde peut garder ses coutumes,” mais au bout de quelques générations, il y a une certaine uniformisation qui va se mettre en marche et les gens vont s'assimiler à une culture ou une autre.
Un pays doit fonctionner avec une culture commune et une langue commune. Ce serait la Tour de Babel si un pays devait fonctionner dans 30 langues. Il finit toujours par y avoir une langue et une sorte de référence culturelle commune.
Donc, je pense que cet argument est un peu spécieux, de dire que le multiculturalisme est une terre d'accueil où tout le monde va trouver sa place parce qu'éventuellement, les gens vont s'assimiler à une culture plutôt qu'à une autre.
Et évidemment, ça fait encore plus affaiblir le fait français au Canada.
L’économie mondialisée
Ensuite, il y a la facilité de vivre en anglais grâce au monde actuel, l'économie mondialisée et capitaliste.
Cette idée va de pair avec la notion de citoyen du monde.
Donc, avec le télétravail, avec la mondialisation, on a de plus en plus de gens qui ne voient plus les pays comme des endroits ayant une culture et une langue commune, mais plutôt comme des postes de travail.
Par exemple, je pourrais me dire, je travaille de la maison, ce serait bien d'aller travailler au Portugal ou d'aller travailler en Espagne, d'aller passer six mois là-bas, d'aller m'installer à Bangkok, d'aller au Japon et de continuer mon travail en anglais d'un autre pays sans vraiment m’assimiler ou vouloir m'intégrer à une nouvelle culture.
Je vois tous ces beaux pays comme simplement des endroits avec des beaux appartements que je peux louer et des choses agréables à faire et un climat intéressant, mais pas comme un endroit où je veux vraiment vivre, m'intégrer, contribuer à la société.
Donc cette notion de citoyen du monde, de pouvoir vivre en anglais n'importe où, de pouvoir s'installer n'importe où, d'être un nomade numérique, affaiblit aussi l'importance d'apprendre une langue.
La folklorisation de la culture
Ce qui a tendance à mener à la folklorisation de la culture.
Et je vais vous donner un petit exemple pour que vous puissiez comprendre ce que je veux dire par là.
Il y a quelques années, je suis allé à la Nouvelle-Orléans.
La Nouvelle-Orléans, en fait, est une ville qui a autrefois été francophone, qui faisait partie de la Nouvelle-France et qui est maintenant une ville américaine.
Par contre, elle a un vieux quartier qu'on appelle encore, je crois, « The French Quarter » ou quelque chose comme ça, où le nom des rues était autrefois en français et ont maintenant été remplacées par des noms en anglais avec un petit titre en dessous qui indique l'ancien nom français.
Donc, il n'y a rien de français, il n'y a rien de francophone dans le French Quarter de la Nouvelle-Orléans.
Ce n'est qu'une sorte de folklorisation de la culture, en fait. C'est ce qui reste après que cette culture a complètement disparu.
La même chose a eu lieu à Hawaï, où on a gardé des beaux noms hawaïens un peu partout.
Chaque ville a un nom hawaïen, chaque rue a un nom hawaïen, mais en fait, personne ne parle la langue hawaïenne ou presque.
Elle a presque complètement disparu et a été remplacée par l'anglais.
Donc, les îles d'Hawaï ont été complètement américanisées, la culture a disparu, les traditions ancestrales ont été assimilées à une offre touristique. Donc, on utilise ces petits éléments de la culture qu'on a gardés parce que ça fonctionne bien pour faire venir des touristes à Hawaii pour qu'ils puissent dire aloha et mahalo et que tout le monde soit content et que tout le monde soit heureux, mais ça cache quand même le fait que c'est un peu une illusion parce qu'on a folklorisé la culture à l’extrême. Il n'en reste qu'un produit commercial.
Et c'est ce qui peut se produire quand on voit par exemple ce qui se passe dans les grandes villes du monde où ça semble plus être des terrains de jeu pour les riches que des endroits où les gens vivent.
L’indifférence de la France face à son anglicisation
On a un autre facteur que je trouve intéressant, c'est l'indifférence de la France et l'anglicisation même de la France.
Il y a en France une certaine manie de l'anglais qui est complètement absurde.
Par exemple, dans plusieurs endroits en France, les Français, pour se donner un côté peut-être un peu à la mode ou moderne, ont anglicisé des dictons, des noms de magasins, des noms d'émissions, mais je pense que c'est une sorte de mode, c'est une sorte de façon de dire on est cool, on est moderne, on est jeune, on utilise des mots anglais.
Parce que la France ne se préoccupe pas vraiment de son anglicisation comme le Québec.
Elle n'est pas consciente vraiment de cela parce que c'est quand même une culture forte, c'est une culture qui a exporté sa langue et sa culture à travers le monde, donc elle se croit un peu imperméable à ses influences.
Par exemple, en France, une émission populaire s'appelle The Voice, au lieu de s'appeler La Voix et autres exemples comme ça.
Et ça fait en sorte qu'il y a plein de Français, en fait, qui ne parlent pas l'anglais et qui ne comprennent plus les slogans qui sont écrits sur les publicités et des choses comme ça par des gens qui croient bien faire en voulant se montrer cool et en utilisant de l'anglais plutôt que du français.
L'indifférence de la France par rapport à l'anglicisation fait qu'on perd un allié potentiel.
Si la France était plus engagée à défendre le français en Europe, à défendre le français dans son propre pays, elle serait peut-être aussi engagée à vouloir le défendre à l'étranger, donc au Québec, et contribuer un peu à la revitalisation du français.
L’indifférence des Québécois face à la francophonie
De l'autre côté, on a aussi l'indifférence des Québécois face au reste de la francophonie.
Les Québécois sont beaucoup plus intéressés par ce qui se passe aux États-Unis, sont beaucoup plus intéressés par la culture américaine et anglo-saxonne que par la culture française.
Mais la France, c'est quand même nos racines, c'est la source, on peut dire, de la langue française.
Et être déconnecté de la culture française fait qu'on est aussi déconnecté de sa langue. Je trouve qu'il est important pour un francophone hors France de s'intéresser à la culture française, de lire les classiques français, de comprendre un peu sa littérature, d'écouter des émissions et des balados de France pour s'habituer à un niveau de langage qui est différent, à des expressions différentes et finalement mieux parler français, avoir plus de ressources à sa disponibilité pour parler français et aussi se sentir plus proche de cette langue en la comprenant dans son ensemble et non seulement dans son utilisation limitée au Québec.
La faiblesse du français écrit
Suite à l'indifférence des Québécois face au reste de la francophonie et l'indifférence de la France face à sa propre anglicisation, on a la faiblesse du français écrit et l'insécurité linguistique.
La faiblesse du français écrit, c’est le fait de ne pas assimiler la langue écrite et littéraire et de seulement pouvoir la parler relativement bien à l'oral.
Mais la langue écrite et la langue parlée sont presque deux langues différentes.
Mais on peut seulement bien arriver à s'exprimer en français et le faire avec une certaine aise et éloquence sur de nombreux sujets si l'on a une culture littéraire et si l'on a une certaine maîtrise du français écrit, parce que la langue écrite est beaucoup plus riche, la langue écrite nous conditionne à mieux parler français, nous conditionne à mieux structurer notre pensée à travers la langue.
La faiblesse du français écrit chez les Québécois est un problème.
Peut-être que c'est lié à ce qu'on disait au début avec les écrans, l'éducation des enfants, les GAFAM, peu importe la raison, il va être important pour la survie du français au Québec d'améliorer la connaissance du français écrit et littéraire.
L’insécurité linguistique
Le manque de connaissances du français écrit mène souvent à une insécurité linguistique.
Quand on maîtrise seulement un certain niveau de langue, c'est-à-dire la langue de tous les jours, le français qu'on parle avec des amis, avec la famille, on est limité à ces domaines et on sent que si l'on cherche à s'exprimer sur des sujets plus complexes, on manque de mots, on manque de ressources, on manque de grammaire pour le faire et ça mène à une certaine insécurité linguistique.
Quand on entend d'autres francophones qui s'expriment avec fluidité, avec un grand vocabulaire, on sent que l'on ne maîtrise pas notre propre langue.
Et ça rend la langue anglaise de plus en plus attrayante parce que peut-être que finalement, avec toute cette influence des GAFAM avec tout ce temps passé à regarder des films et des séries en anglais, qu'on se sent peut-être un peu plus à l'aise de temps en temps de parler anglais, qu'on sent que les expressions qui nous viennent sont des expressions de l'anglais que l'on cherche à traduire plus ou moins en français.
Et finalement, peut-être qu'on va se dire… ben, je me sens mieux quand je parle anglais, je sens que j'ai plus de choses à dire!
Donc, la faiblesse du français écrit peut mener à une insécurité linguistique qui peut mener à un désir finalement de mieux parler anglais et de se sentir plus à l'aise en anglais.
La déliquescence de la langue
Les facteurs que je viens de nommer et aussi les autres d'avant peuvent mener à une certaine déliquescence de la langue, c'est-à-dire une dégénérescence de la structure du français.
Souvent, les gens vont dire, oui,'est normal qu'une langue évolue, c'est normal qu'on emprunte des mots à une autre langue, c'est normal que l'on emprunte des expressions à une autre langue, ou même la structure, par exemple, de l'anglais pour certaines expressions en français.
Mais si, au final, on arrive seulement à parler français avec une structure qui vient clairement de l'anglais et des mots et des expressions qui sont vaguement traduits en français, finalement, on parle une sorte de langue différente qui n'est ni du français ni de l'anglais.
Le problème, c'est que l'usage de cette langue est limité.
C'est pas la langue qui va nous aider à avancer dans le monde du travail.
C'est pas la langue qui va nous aider à apprécier la culture francophone dans son ensemble, sa littérature.
Ce n'est pas la langue qui va nous faire sentir qu'on peut s'exprimer clairement sur plein de sujets.
Donc, cette déstructuration du français, quand la structure du français commence à se décomposer et ressembler de plus en plus à de l'anglais avec des mots français, va affaiblir la force de la langue, parce que si le même phénomène ne se produit pas en anglais, on pourrait se dire, bien, finalement, on devrait peut-être juste parler anglais!
L’échec du rêve d’un Québec indépendant
Le dernier facteur qui explique pourquoi la langue française est menacée au Québec, c'est l'échec du rêve d'un Québec indépendant.
Le Québec s'est posé la question à deux reprises, lors de deux référendums, et la question était est-ce que le Québec devrait devenir indépendant? Est-ce que le Québec devrait devenir un pays?
La dernière fois était en 1995, le résultat a été très très serré, ça n'a pas fonctionné et depuis on est passé à autre chose et c'est très difficile de croire qu'on va pouvoir revenir à mettre ce débat de l'avant, en faire une question prioritaire pour la société et faire un troisième référendum et c'est encore moins probable que ce troisième référendum soit gagnant, pour le oui, pour que le Québec devienne un pays.
Donc, quand on perd ce rêve nationaliste, ce rêve identitaire, ce rêve qui met au centre d'un projet politique la survie de la langue française et la survie de la culture québécoise et la pérennité de notre nation,
Ça fait que le centre des préoccupations maintenant est plutôt économique.
La culture est moins importante, on s'en préoccupe moins, on pense à autres chose.
Et je crois que ça explique quand même une partie du fait qu'on sent que la langue française est de plus en plus fragile au Québec.
Les facteurs positifs
Donc tout ça peut paraître très, très négatif, mais c'est vraiment pour répondre à la question que plusieurs personnes m'ont posée.
Est-ce que le français va disparaître au Québec?
Et la réponse n'est pas oui ou non, mais je peux répondre par l'affirmative à la question est-ce que la langue française est menacée au Québec?
La langue française a toujours été menacée au Québec!
Il y a plein de raisons qui expliquent cette faiblesse et plein de raisons qui justifient de se battre pour la garder vivante.
Mais il y a des aspects positifs.
Premièrement, le débat est revenu. On en parle de plus en plus. Le gouvernement du Québec en a fait une question centrale. On se pose la question, qu'est-ce qu'on peut faire pour faire en sorte que le français survive au Québec? Qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer la vitalité du français?
Il y a des nouvelles lois… bon controversées, ce n'est pas tout le monde qui est d'accord, mais je pense qu'il y a cette volonté de contribuer à la survie et à la vitalité du français.
Et de plus en plus, on a une immigration francophone au Québec et des programmes de francisation et des immigrants qui veulent apprendre le français.
Des gens comme vous qui s'installent au Québec et qui trouvent l'apprentissage d'une langue intéressant, qui veulent bien apprendre le français, qui veulent comprendre la culture québécoise, qui veulent participer à la vie culturelle ici. Et tout ça, je pense, ce sont des facteurs positifs.
Donc moi je reste quand même positif face mais conscient des périls et dangers qui menacent la survie du français au Québec.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour aider le fait français au Québec?
Qu'est-ce que vous trouvez le plus important dans l'apprentissage du français?
Qu'est-ce qu'on fait mal?
Qu'est-ce qu'on devrait changer?
Le vocabulaire
Un petit village gaulois. La Gaule était une région d’Europe, avant que la France soit un pays. Mais de nos jours, on dit souvent, avec humours, les Gaulois pour les Français.
La revanche des berceaux. Pour plus d’information, voici un article.
La natalité féconde. Fécond c’est fertile, dans le sens de la reproduction.
Sans apport de l’immigration. Contribution.
En deçà de. Au-dessous de.
L’anglicisation. Le processus d’adoption de la langue anglaise (aux dépens d’une autre langue.)
Sur le terrain. Sur les lieux de l’action.
Faire le tri. En anglais: to sort.
Se mesurer à. Lutter contre.
Le bassin de gens 100 % francophones. En anglais: the pool.
Rechigner. Témoigner de la mauvaise humeur, de la répugnance à faire quelque chose.
Délaisser quelque chose. Abandonner.
Tout ce beau monde. Une façon plus sympathique (et un peu sarcastique) de dire “tous ces gens-là.”
Cet argument est un peu spécieux. Qui est de nature à induire en erreur, qui n’a qu’une apparence de vérité.
Cette idée va de pair avec la notion. Aller ensemble.
La manie de l’anglais. Ici: goût excessif de quelque chose.
Un dicton. En anglais: a saying. A slogan.
Imperméable. En anglais: waterproof.
Croire bien faire. En anglais: Believing you're doing the right thing.
Affaiblir la force de la langue. Rendre faible, diminuer la force.
La déliquescence. État de dégénérescence complète.
Mettre de l’avant. QC: proposer, présenter
La pérennité. État de ce qui dure toujours, très longtemps.
Répondre par l’affirmative. Être d’accord.
Un péril. Un danger.




Québec solidaire (QS) semble croire que le français est menacé, du moins à Montréal. Mais je pense que la proposition de QS ne tient pas compte d’un facteur essentiel. Si la langue prédominante sur le lieu de travail n’est pas le français, le programme de francisation est probablement voué à l’échec — même si une formation est proposée au sein des entreprises. Les Forces armées canadiennes l’ont prouvé de façon constante au cours des 50 dernières années.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2045208/quebec-solidaire-preservation-francais-montreal
Merci, Frédéric, pour cet article intéressant et réfléchi. J'ai de nombreuses réflexions, mais je n'en citerai que quelques-unes - axées principalement sur l'avenir du français dans le reste du Canada.
1. L'insécurité linguistique. L'insécurité linguistique est un sujet de discussion majeur parmi les francophones hors Québec. Le Devoir a récemment publié un article sur cette question du point de vue de l'Ontario.
https://www.ledevoir.com/societe/education/804876/education-ontario-eleves-etudient-francais-ne-sentent-pas-hauteur
En Colombie-Britannique, où je vis, le problème est encore plus aigu. Compte tenu de mes responsabilités au sein de l'Association francophone locale (vice-présidente du conseil administratif), l'insécurité linguistique est une question à laquelle je pense souvent pour déterminer comment l'Association peut mieux servir la communauté francophone à l'avenir. Le Conseil jeunesse francophone de la C.-B. propose des ateliers sur cette question et je participerai à l'un d'entre eux le 1er février. Si vous souhaitez en savoir plus sur la question de la sécurité linguistique, je vous recommande la série de podcasts suivante, dans laquelle la sociolinguiste Suzanne Robillard, de l'Université d'Ottawa, est interviewée sur le sujet. Je ne m'étendrai pas sur mes propres réflexions sur le sujet, qui pourraient être quelque peu controversées.
https://www.belinguiste.com/nos-podcasts
2. L'indifférence des Québécois face à la francophonie. Je crois que de nombreux Canadiens francophones vivant à l'extérieur du Québec soutiendraient que l'indifférence des Québécois face à la francophonie les englobe tout autant que la francophonie dans le reste du monde. Lorsqu'il s'agit de lutter pour les droits garantis par la loi sur les langues officielles, le Québec est rarement un allié. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a récemment annoncé son intention de mettre en place une politique visant à fournir certains services gouvernementaux en français à la communauté francophone (la Colombie-Britannique est la seule province à ne pas disposer d'une telle politique). L'élaboration de cette politique impliquera une consultation de la communauté francophone et je m'attends à ce que l'association dont je fais partie soit incluse dans ce processus de consultation (au même titre que les nombreuses autres associations et organisations francophones de la C.-B.).