"Le québécois est du vieux français"
Est-il vrai que le français québécois est de l'ancien français?
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J'entends souvent ça de la part de Français, Belges et parfois d'autres personnes qui apprennent le français, qu’au Québec, on parle le vieux français.
Pour commencer, c'est quoi exactement du vieux français ou de l'ancien français?
C'est une langue qui a évolué vers le français et qui se termine vers l'an 1400 environ. Donc, bien avant que les colons français n'arrivent au Québec.
Et si on essaie aujourd'hui de lire un texte en ancien français, comme la Chanson de Roland, un poème épique qui date du 11e siècle, on va trouver que c'est pratiquement impossible à comprendre sans traduction. Voici par exemple un extrait de la chanson de Roland.
Cumpainz Rollant, l’olifan car sunez :
Si l’orrat Carles, ferat l’ost returner,
Succurrat nos li reis od tut sun barnet. »
Respont Rollant : « Ne placet Damnedeu
Que mi parent pur mei seient blasmet
Ne France dulce ja cheet en viltet !
Einz i ferrai de Durendal asez,
Ma bone espee que ai ceint al costet :
Tut en verrez le brant ensanglentet.
Felun paien mar i sunt asemblez :
Jo vos plevis, tuz sunt a mort livrez
Si on le traduit en français moderne, ça donne ceci
« Compagnon Roland, sonne l'olifant : si Charles l'entend, il fera retourner l'armée, le roi nous portera secours avec toutes ses troupes. »
Roland répond : « Que Dieu ne permette jamais que mes proches soient blâmés à cause de moi ou que la douce France tombe dans la honte ! Je vais plutôt faire assez de choses avec Durandal, ma bonne épée que j'ai ceinte à mon côté : vous verrez toute la lame ensanglantée. Les païens félons sont mal assemblés ici : je vous promets qu'ils sont tous voués à la mort. »
Le français québécois n'est clairement pas de l'ancien français! Mais si l’on remonte à 1534, avec un texte de Jacques Cartier, on va voir que le français a quand même beaucoup évolué depuis cette date.
Le mercredi, XXVIIe dudit moys, nous arivames à l'entrée de la baye des Chasteaulx, et pour la contrarieté du vent et du grant nombre de glaces que trouuasmes, nous conuint entrer dedans vng hable, estant aux enuirons d'icelle entrée, nommé le Rapont.
Texte de Jacques Cartier (1534)
Si on lit ce texte, on a quelques difficultés à comprendre aujourd'hui. J’en comprends une bonne partie, mais parce que l'orthographe a évolué depuis, je ne comprends pas parfaitement.
Avec la traduction, ça donne:
Le mercredi, 27e de ce mois-là, nous sommes arrivés à l'entrée de la baie des Châteaux. À cause du vent contraire et du grand nombre de glaces que nous avons rencontrées, nous avons dû entrer dans un havre situé aux environs de cette entrée, appelé le Rapont.
Samuel de Champlain
Si on arrive à la fondation de la ville de Québec, le premier établissement permanent de la Nouvelle-France à Québec, en 1608, un texte de Samuel de Champlain est facile à comprendre encore aujourd'hui.
Le 27e jour, nous fûmes trouver les Sauvages à la pointe de Saint-Mathieu, qui est à une lieue de Tadoussac, avec les deux Sauvages que mena le sieur du Pont pour faire le rapport de ce qu'ils avaient vu en France, et de la bonne réception que leur avait fait le roi. Ayant mis pied à terre, nous fûmes à la cabane de leur grand sagamo [chef], qui s'appelle Anadabijou, où nous le trouvâmes avec quelque 80 ou 100 de ses compagnons qui faisaient tabagie [qui veut dire festin], lequel nous reçut fort bien, selon la coutume du pays et nous fit asseoir auprès de lui…
En 1608, Samuel de Champlain fonde le premier établissement permanent de la Nouvelle-France à Québec
On comprend parfaitement bien encore aujourd'hui le texte de Samuel de Champlain.
Évidemment, les colons qui sont arrivés au Québec ne parlaient pas la langue érudite. Ils parlaient le français populaire, surtout parlé au nord de la France. Mais on voit que finalement, quand la ville de Québec a été fondée, le français tel qu'on le parlait à l'époque, du moins le français officiel, est parfaitement compréhensible aujourd'hui.
La prononciation
Donc, qu'est-ce qui fait dire aux gens qu'on parle l'ancien français? En fait, ce que les gens veulent dire, c'est qu'au Québec, certains aspects de la prononciation et du vocabulaire n'ont pas évolué. En France et en Belgique et dans les autres pays francophones, la langue a continué à évoluer et elle a comme été séparée pendant des centaines d'années du Québec.
Ai vs. ais
Donc, cela donne des résultats un peu différents. Si on pense à la prononciation en premier, en fait, la prononciation du français s'est simplifiée en France. Tandis qu'au Québec, elle est restée à peu près la même ou c'est même un peu complexifié.
Un exemple, il y a une tendance en français européen de confondre la terminaison AI et la terminaison AIS ou AIT. Donc, je ferai au futur et je ferais au conditionnel ont tendance à se dire tous les deux de la même façon (je ferais, dans les deux cas).
Et même chose, si on lit un texte qui est au passé simple, à la première personne, aimer serait j'aimai. J'ai l'impression qu'on entend surtout ais au lieu de ai. Donc, j'aimais au lieu de j'aimai qui serait la forme correcte du passé simple.
Les voyelles longues et courtes
Mais encore plus complexe que ça, on a tout un paquet de mots qui se différencient en français par un accent circonflexe, souvent, et par une consonne double. Par exemple, maître et mettre, pâtes et patte» Et en France, l'évolution phonétique fait que les deux mots se prononcent de la même façon.
Cette paire de mots qui étaient au départ une voyelle longue et une voyelle courte, indiquée par la double consonne pour la voyelle courte, se prononce de la même façon, finalement. Donc, pâtes, patte.
Je vais manger des pâtes.
Tandis qu'au Québec, on fait encore cette différence.
Je vais manger des pâtes.
Je vais faire un ragoût de pattes de cochon.
Si vous écoutez bien, des pâtes, la voyelle est plus longue, et patte, la voyelle est courte.
Le son “un”
Une autre voyelle qui a disparu du français parlé en Europe, c'est la voyelle UN. Qui se prononce en France comme IN.
Lundi se prononce au Québec comme lundi, tandis qu'en France, on le prononce lindi.
Et c'est ainsi qu'on dirait un bon vin au Québec en trois voyelles distinctes. Un, bon, vin. Et en France, la première et la dernière voyelle seraient les mêmes.
Dans ce sketch du groupe humoristique RBO des années 80, on entend bien le son “brun,”
Le O ouvert et fermé
Une autre petite évolution que j'ai remarquée, c'est la prononciation du son O, qui peut être soit ouvert et fermé. Mais en France, on a beaucoup de O qui sont fermés.
Au Québec, on prononce comme des O ouverts, en France. Donc, au lieu de dire une faute avec un o fermé, on va dire «une fote». Au lieu de dire les autres, on va dire les otres.
La diphtongaison
Une autre petite complexité de la prononciation du français québécois, c'est la diphtongaison, ou cette petite voyelle supplémentaire qui est rajoutée et qui fait rire beaucoup de gens parce que ça donne un aspect un peu rural à la prononciation du français québécois.
Par exemple, la fameuse prononciation de Montréal qui fait qu'on dit ma mAère au lieu de dire ma mère.
D'autres exemples de diphtongaisons
Mon père se prononce pAère»
Un rêve se prononce rAève.
Mon rAêve, c'est d'aller en France.
Le cœur se prononce CaEUr
Le nord», NO-OUrd
On s'en va au no-OUrd.
Si vous m'écoutez parler, je le fais quand même dans mon français un peu plus soigné que j'utilise dans mes balados, mais c'est vraiment la prononciation que j'ai apprise moi aussi.
Il n'y a rien d'extraordinaire là-dedans, c'est un phénomène qui existe dans plein de langues. Il faut pas capoter avec ça, comme on dit, mais c'est ce qui fait qu'en fin de compte, la phonétique du français québécois me semble un peu plus complexe que la phonétique du français européen.
Capoter est un mot québécois pour dire: paniquer, perdre l’esprit.
Les archaïsmes
Ensuite, ce qui fait que les gens disent qu'on parle le vieux français ou l'ancien français au Québec, c'est que l’on continue d'utiliser des termes qui ont disparu en France.
Et souvent, j'entends dire des choses comme:
Ah, c'est pas correct de dire présentement!
C'est pas correct de dire ennuyant au lieu d'ennuyeux!
Mais en fait, si l'on cherche ces mots dans le dictionnaire, on va les trouver, ils existent. C'est juste qu'ils sont tombés dans l'oubli en France et une forme est privilégiée plutôt qu'une autre.
Barrer une porte
Le terme barrer une porte pour verrouiller une porte est encore utilisé dans certaines régions de France, par exemple dans le nord de la France, en Normandie.
Présentement
Le fameux présentement, qu'on utilise souvent comme exemple au Québec de différence avec le français de France. En fait, c'est un adverbe qui existe depuis le XIIe siècle en français. On le trouve dans les dictionnaires. C'est juste que c'est un adverbe vieilli qu'on n'utilise plus vraiment, qui n'est plus actuel, sauf au Québec et au Canada francophone.
La noirceur
La noirceur est un beau mot pour désigner l'obscurité.
Ça adonne et s’adonner avec
L'expression ça adonne que...
Ça adonne bien que tu sois là, je voulais te voir.
Ah, ça adonne mal, je peux pas aller à ta fête, je dois travailler.
Adonner peut s'utiliser en français par exemple s'adonner à la musique, c'est-à-dire faire quelque chose avec passion.
Mais au Québec, on utilise ce verbe-là de différentes façons, par exemple:
S'adonner avec d'autres personnes, s'adonner avec ses amis, c'est-à-dire s'entendre bien.
Et aussi ça adonne bien, qui veut dire ça tombe bien, ça arrive à temps.
V’là
Au Québec, on utilise beaucoup cette expression pour dire il y a.
Et en fait, c'est seulement une forme de voilà que l’on trouve dans n'importe quel vieux roman en français pour dire il y a.
Voilà dix ans que je ne t'ai pas vu.
Ce qui fait très littéraire, mais en bon québécois.
Vl’à dix ans que je t'ai pas vu.
Faire accroire
Faire accroire quelque chose à quelqu'un se dit au Québec souvent pour dire «faire croire».
Je fais accroire que je travaille, puis tu fais accroire que tu me payes.
Nous autres et vous autres
Une façon de parler qui me fait penser à l'espagnol (nosotros), nous autres et vous autres, à la place de nous et vous, dans des contextes où il n'y a pas d'opposition
Elle n'agit pas avec moi comme elle agit avec vous autres.
Dans une langue soutenue, on dirait avec vous.
Veux-tu venir au restaurant avec nous autres?», au lieu de dire avec nous.
Ennuyant
Ennuyant pour «boring» est la forme qu'on utilise le plus au Québec, tandis qu'en France, on va plus utiliser ennuyeux. Les deux mots existent, donc il n'y a pas une forme qui est incorrecte, c'est juste qu'avec le temps, on a préféré ennuyeux en France, en Europe, et on a gardé ennuyant au Québec.
Moé pis toé
La prononciation qui paraît un peu vulgaire de toi, moi qui se prononce moé, toé, c'était, j'ai entendu dire, une ancienne prononciation du français et que c'était même la prononciation correcte du français à une certaine époque, donc si on remonte à la cour du Roi-Soleil (ou quelque chose comme ça).
Les repas
Au Québec, les repas de la journée sont le déjeuner, le dîner et le souper. En France, on parle du petit-déjeuner, du déjeuner et du dîner.
Selon l'historien Alessandro Barbero, historien italien, vers le 18e et 19e siècle, toutes les classes bourgeoises et aristocratiques en Europe ont commencé à prendre leur dîner de plus en plus tard pour se différencier des classes ouvrières qui devaient se lever très tôt le matin pour travailler.
C'était une sorte de mode, une certaine forme de snobisme. Le dîner qui était pris à 13h fut déplacé à 14h, ensuite à 15h, jusqu'à être pris si tard qu'il vint à remplacer le repas du soir. Et au Québec, on a gardé les anciennes appellations de déjeuner, dîner et souper.
Abrier
Autre terme archaïque qu'on a gardé au Québec, abrier.
Ma grand-mère me disait, veux-tu que je vienne t'abrier avant de dormir
C'est issu de l'ancien français qui signifiait, à l'origine, se mettre à l'abri.
Et il semblerait qu'on l'utilise toujours en Normandie et en Bretagne. Au Québec, ça veut dire couvrir d'une couverture, protéger des objets en les entourant d'un matériau quelconque.
Achalander
Et finalement, achalander, qui vient de l'ancien français et qui signifiait, jusqu'au 14e siècle, fréquenter.
Et au Québec, on l'utilise encore de cette façon-là pour parler d'un magasin qui est achalandé, qui a beaucoup de clients.
Conclusion
Finalement, est-ce qu'on peut dire que le français québécois est de l'ancien français ou du vieux français? C'est pas tout à fait exact, comme on a vu, mais c'est pas complètement faux parce que le français a évolué à sa façon et aussi a gardé des caractéristiques de prononciation du vocabulaire qui ont disparu dans le reste de la francophonie, mais qu'on a gardées ici.
Merci pour cet article ! Mes lectures sur ce sujet mentionnent souvent la normalisation de la langue française qui s’est produite en France pendant la Révolution. Le Québec étant alors sous domination britannique, cette évolution linguistique ne fut pas imposée à la population francophone d’Amérique du Nord. Les deux langues se sont donc développées séparément pendant au moins les deux cents années qui ont suivi. Bien que je sache qu’il n’existe probablement pas de définition officielle, quand je pense au français « ancien », c’est plutôt l’époque ayant précédé la révolution qui me vient à l’esprit.