I wrote the following article using a mixture of Québécois slang and literary language. I also translated it into English. To read it in English, click here:
Les 6 pires excuses pour ne pas apprendre le français
Quand j’avais 12-13 ans, c’est-à-dire au début du secondaire (high school pour le Québec), il y avait un élève dans ma classe qui était supposément bilingue.
— David est bilingue, avait dit un jour notre professeure. Son père est anglophone, faque il lui a appris l’anglais.
Toute la classe avait alors murmuré un wow d’admiration béate, tandis que David s’est contenté de lancer un sourire mystérieux.
Bilingue!
Ce mot m’avait tellement envouté. Pour moi, bilingue, c’était un superpouvoir magique que j’étais tellement jaloux de ne pas posséder. Il suffisait pourtant d’avoir un parent qui parlait une autre langue, et l’on devenait bilingue, comme par enchantement.
Bilingue, câlisse, pourquoi n’étais-je pas bilingue moi aussi?
On a jamais su si David était vraiment bilingue. Honnêtement, il n’a jamais démontré d’habilités si impressionnantes dans les cours d’anglais, alors je crois que notre prof avait un peu exagéré.
Mais par la suite, je me suis fait d’autres amis dont les parents étaient nés en Grèce, Ceux-ci possédaient des restaurants grecs de Repentigny… et ils parlaient fuckin’ grec à la maison, devant moi, et probablement de moi!
Cette fois-ci, il n’y avait aucun doute. Cette langue m’était complètement incompréhensible. Mes amis étaient vraiment bilingues!
J’étais jaloux en tabarnac!
Dans les années qui suivirent, j’ai pris ma revanche.
J’ai appris l’anglais en lisant furieusement tout ce que je pouvais trouver et en cherchant péniblement chaque mot nouveau dans le dictionnaire. Ensuite, j’ai commencé à apprendre l’italien grâce à un vieux livre poussiéreux que j’ai trouvé dans le sous-sol à la maison. C’était une vieille édition de L'italien sans peine, que ma mère avait depuis des lustres.
Je me suis aussi acheté Le grec sans peine et je me suis dit que j’allais l’apprendre pour finalement comprendre ce que les parents de mes amis grecs disaient dans mon dos. Mais j’ai abandonné après quelques semaines, rebuté par le niveau de difficulté de cette langue.
Ça ne m’a pas empêché, des années plus tard, de me lancer dans l’étude de l’allemand, du russe, et de plusieurs langues latines.
Depuis cette époque, donc, j’ai une certaine fascination pour les langues étrangères qui ne s’est jamais estompée.
Étant donné que j’ai toujours été attiré par les langues, j’arrive difficilement à comprendre comment certaines personnes au Québec refusent d’apprendre le francais et se donnent toutes sortes d’excuses pour ne pas le faire.
Voyons donc quelques-unes de ces excuses.
« À Montréal, ça ne sert à rien, tout le monde parle anglais »
Cette excuse est assez culottée.
J’en reviens à mon exemple de mes amis grecs. Je voulais apprendre leur langue, non pas parce qu’ils ne parlaient pas français, mais bien parce que je voulais comprendre ce qu’ils se disaient entre eux!
L’idée d’être exclu d’un groupe social à cause d’une langue me répugnait.
En fait, j’étais surtout très curieux de savoir ce qui se cachait derrière ces mots incompréhensibles.
Il est vrai qu’à Montréal l’anglais est très présent. Et il est aussi vrai que dans à peu près tous les commerces, on arrive à se faire servir en anglais (ce qui n’est pas toujours vrai pour le français).
Mais quand même, on ne peut pas dire que tout est en anglais à Montréal. Après tout, le français est omniprésent. C’est la langue que ben du monde parle entre eux. Pratiquement tout est écrit en français.
Donc, l’excuse que ce n’est pas important est un peu comme de dire que “pourvu que je puisse acheter mon pain et commander au restaurant et parler à mes amis en anglais, je n’ai pas trop besoin de comprendre ce qui se dit.”
J’avais rencontré en voyage un Américain qui a habité en Espagne durant quelques années et disait qu’il aimait mieux ne pas parler espagnol, car de cette façon il ne comprenait les conneries que les gens se disent entre eux. (Je n’invente pas cette histoire. Il avait dit “I prefer not understanding the crap people say”.)
C’est une posture assez spéciale, pour ne pas dire autre chose.
Ne pas parler français au Québec, même si c’est à Montréal, c’est passer à côté d’une immense partie de la vie sociale et culturelle.
Théâtre, festivals, conversations spontanées entre voisins, littérature, musique, ou simplement comprendre ce que les gens se disent entre eux.
Je pense que bien des gens aimeraient avoir accès à tout ça.
« J’ai toujours été nul en langues »
L’école a gâché pour plusieurs le goût d’apprendre le français. Ces tableaux de conjugaison à mémoriser vous ont traumatisé. Et ces années de cours ennuyants ne vont ont pas appris grand-chose en fin de compte.
Il est vrai qu’en Amérique du Nord, on enseigne très mal les langues à l’école. On trouve le moyen de donner cinq ans de cours sans qu’à la fin les élèves puissent ensuite commander un jus d’orange de façon convaincante dans un café à Paris.
Mais ça ne veut pas dire que vous êtes « nul » en langues!
Ça veut dire que vous avez eu un faux départ. On ne devient pas bilingue en récitant des verbes, pas plus qu’on ne devient musicien en recopiant des notes sur une feuille sans jamais toucher à un instrument.
Aujourd’hui, on connaît beaucoup mieux la science de l’apprentissage des langues. Des chercheurs en acquisition des langues expliquent que ce n’est pas une question de talent inné, mais surtout d’exposition, de motivation et de persévérance.
Et des polyglottes un peu partout dans le monde expliquent leurs secrets sur YouTube. Comment ils ont appris trois, cinq, dix langues! Ce qui marche vraiment, et ce qui ne sert à rien.
On a maintenant accès à des méthodes beaucoup plus efficaces que celles qu’on nous a imposées à l’école.
« Je n’ai pas le temps de suivre des cours de français »
Il est vrai qu’à une certaine époque, apprendre une langue était compliqué.
Quand j’essayais d’apprendre l’italien à Repentigny, je n’avais qu’un petit livre aux pages jaunies. Aucun enregistrement, aucune façon de pratiquer, aucun professeur, rien. Niente. Pour suivre des cours, il aurait fallu que j’aille à Montréal.
Aujourd’hui, est-ce nécessaire de souligner à quel point les ressources pour apprendre une langue ne manquent pas?
On a des cours gratuits subventionnés par le gouvernement, des applications (certes imparfaites, mais quand même), des groupes de conversation, des bibliothèques, des chaînes YouTube, des balados, et j’en passe.
Ce qui se cache derrière ce manque de temps (ou d’argent) est surtout un manque de motivation.
On hésite pas à dépenser $250 pour un Air Fryer (modèle familial!) ou bien une machine à café, mais acheter quelques livres ou un programme de français nous parait un luxe.
Nous avons ici affaire à une question de priorités.
Soyons honnêtes.
Le manque de temps n’est pas le vrai problème. Tout le monde peut trouver 15 minutes, voire 30 minutes par jour, qu’on gaspille de toute façon sur notre téléphone.
« Je suis trop vieux pour apprendre une langue »
En fait, vous êtes trop vieux pour ne PAS apprendre une langue.
Passé un certain âge, disons 40 ans, notre cerveau tombe dans des mauvaises habitudes. Il passe ses soirées à regarder des séries minables sur Netflix. Il répète les mêmes gestes. Il ne fait plus d’exercice. Il commence à développer… une bedaine de bière!
Ok, notre cerveau n’a pas de bedon. Mais un manque de stimulation le rend paresseux et il commence à dégénérer.
Faire l’effort d’apprendre une nouvelle langue rendu à un âge mûr est l’un des meilleurs cadeaux que vous pouvez vous faire! Oui, ce sera plus difficile qui si vous aviez commencé plus tôt. Mais il n’est jamais trop tard et vos efforts porteront fruit!
En plus de vous amuser en parlant cette langue, vous donnerez à votre cerveau un workout digne de ce nom, une sorte d’entraînement qui lui permettra de rester jeune et frisquet encore longtemps.
« Le Canada est un pays bilingue! »
Voici une excuse très lâche que j’ai déjà entendue. “Pourquoi ne puis-je pas parler anglais au Québec… le Canada est un pays bilingue!”
À ce que je sache, parler anglais n’est pas optionnel à Toronto ou à Calgary. Affirmer haut et fort que le Canada est un pays bilingue ne permettra pas aux francophones d’être servis en français partout où ils vont dans le reste du Canada!
Le bilinguisme canadien est une illusion.
C’est surtout au niveau administratif que certains textes doivent être traduits dans les deux langues officielles. Dans les faits, très peu de Canadiens sont bilingues. La plupart des bilingues sont au Québec, et même là, devons-nous rappeler que la seule langue officielle du Québec est le français?
Quand un groupe de francophones se met à parler en anglais pour être poli avec le seul anglophone du groupe, ils le font un peu par obligation. Nous n’avons pas nécessairement envie de switcher à l’anglais juste pour juste une personne. N’avez-vous pas envie de communiquer avec les gens dans leur langue?
« Avec l’intelligence artificielle, il est maintenant inutile d’apprendre une langue »
Avant d’examiner les faiblesses de cet argument, poussons-le à sa suite logique.
Si l’intelligence artificielle rendra caduque l’utilité d’apprendre une langue, parce que la technologie prendra le relai, cela voudra aussi dire que de moins en moins de personnes dans le futur apprendront l’anglais.
En effet, si les technologies deviennent assez avancées pour nous offrir en tout temps et en temps réel des traductions précises, l’importance de l’anglais comme langue internationale diminuera.
Aujourd’hui, on apprend l’anglais pour avoir accès à toute la culture du Web qui est en anglais. Mais si tout est traduit sans effort avec l’intelligence artificielle, alors de moins en moins de gens apprendront l’anglais.
Si l’on pousse l’argument à fond, on pourrait prédire qu’un jour, sans logiciel d’intelligence artificielle, il sera de plus en plus difficile de voyager en parlant seulement anglais.
Et ce n’est pas qu’une hypothèse. Selon le rapport EF English Proficiency Index 2024, la maîtrise de l’anglais recule pour la quatrième année et 60 % des pays ont obtenu un score inférieur à celui de l’an dernier. En Asie, la baisse est la plus marquée, et le Japon a chuté à la 92e place (sur 116 pays et régions). L’avenir du multilinguisme est donc beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine.
En fait, une traduction est toujours imparfaite.
Dès qu’un logiciel traduit, c’est une interprétation, un choix de traduction fait parmi des dizaines de possibilités.
Même avec le logiciel d’IA le plus avancé qui soit, il manquera toujours quelque chose à la traduction, car chaque langue a sa propre logique, avec des nuances qui ne se traduisent tout simplement pas.
Comment traduire les non-dits et la gestuelle, qui changent parfois complètement le sens que l’on doit donner aux mots?
Devra-t-on se promener avec des lunettes munies de caméras qui vont aussi capter et analyser tout ce langage non-verbal?
En italien on dit, traduttore, traditore. “Le traducteur est un traitre.”
Chaque traduction est une forme de mensonge, car en fin de compte, on ne peut jamais traduire parfaitement une culture et une façon de penser.
Comme dans le film de Sofia Coppola avec Bill Murray, quelque chose se perd dans la traduction. Lost in Translation…
30 bonnes raisons pour apprendre le français
Pour terminer, voici 30 bonnes raisons pour apprendre le français et la culture québécoise. Ces raisons ne sont absolument pas logiques. Elles sont 100% émotionnelles, mais n’est-ce pas ce qui nous motive le plus, finalement?
Pour apprécier la beauté du joual dans Les Belles-sœurs de Michel Tremblay.
Pour l’amour de l’accent du Saguenay Lac-Saint-Jean.
Pour la satisfaction de sacrer en québécois (tabarnac!).
Pour comprendre les spectacles d’humour québécois.
Pour Cœur de Pirate.
Pour apprécier l’acteur Mani Soleymanlou.
Pour apprécier Marc Labrèche et Le cœur a ses raisons.
Pour les Cinq minutes du Peuple de François Pérusse.
Pour pouvoir draguer en québécois.
Pour comprendre l’humour de Like-moi!
Pour aller aux Îles-de-la-Madeleine.
Pour découvrir les contes de Fred Pellerin.
Pour lire La recherche du temps perdu de Marcel Proust.
Pour pleurer en regardant C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée.
Pour aller au Théâtre du Nouveau Monde, ou au Théâtre Denise-Pelletier, ou encore au Théâtre du Rideau Vert, à l’Espace Go, ou au Théâtre Duceppe. Il y a plus de 200 compagnies de théâtre et d’arts de la scène au Québec, et seulement une poignée en anglais.
Pour comprendre les références dans Tout le monde en parle.
Pour rire des Bye Bye de la veille du jour de l’An.
Pour les films de Xavier Dolan.
Pour comprendre les jeux de mots dans les enseignes au Québec, comme le restaurant Ma poule mouillée.
Pour la comprendre Série Noire et Les Invincibles
Parce que vous avez un faible pour Karine Vanasse.
Parce que vous avez un faible pour Éric Bruneau.
Pour le rap québécois.
Pour se promener dans les petits villages du Québec et vraiment parler avec les gens.
Pour s’émouvoir en écoutant les Cowboys Fringants.
Pour entrer dans une librairie au Québec et ressortir avec autre chose qu’une spatule ou un livre de recettes.
Parce que la francophonie c’est aussi plus de trente pays où le français est l’une des langues officielles.
Pour aller au Cinéma Beaubien et voir un film québécois ou français sans sous-titres.
Pour s’intégrer dans une discussion bilingue.
Pour arrêter d’inventer une excuse maladroite quand quelqu’un vous demande “You live in Montreal, you must speak fluent French, right?”
Et vous, quelles sont vos raisons?