Parler français en plein milieu du Pacifique
Intermediate series: Mon amour pour la Polynésie
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On parle français en France, en Belgique, en Suisse, au Québec, et dans certains pays d’Afrique. Ça, tout le monde le sait. Mais on parle aussi français dans les endroits les plus inusités1.
L’un de ces endroits que j’ai eu le privilège de visiter à plusieurs reprises est la Polynésie française, aussi connue sous le nom de Tahiti et de ses îles. Aujourd’hui, je vais vous parler de cet endroit singulier2 et magique.
Mais avant tout, commençons avec une recommendation de contenu.
Une vidéo à regarder
Je voulais vous partager plus qu’une vidéo, mais une chaîne YouTube qui mérite d’avoir plus d’abonnés. Il s’agit de Urbania, ancien magazine montréalais devenu numérique.
Ce que j’aime de Urbania c’est qu’ils n’hésitent pas à parler de sujets plus délicats, qui ne sont pas souvent abordés ailleurs. Comme dans ce dernier mini-documentaire, qui était super bien fait et intéressant. Vous allez aussi entendre un accent bien québécois!
Mon amour pour la Polynésie
Il y a un endroit que j’ai découvert par hasard, qui est devenu pour moi une sorte de rêve intangible, inatteignable.3
Bien que je n’aie plus aucune intention d’aller vivre sur une île perdue en plein milieu du Pacifique, il m’arrive encore de fantasmer sur cette idée. En français, on dit rêvasser, c’est-à-dire partir dans ses pensées, imaginer une autre vie.
Chez moi, j’ai une petite collection de livres sur le Pacifique. Il y a toute une littérature sur le sujet, comme le fameux Mutiny on the Bounty, basé sur une histoire vraie et incroyable, qui est devenue un film célèbre avec Marlon Brando.
Bref, la Polynésie est un peu mon image du Paradis sur terre.
Laissez-moi vous raconter comment je me suis retrouvé là-bas.
Comment une blague est devenue réalité
À 29 ans, j’ai connu mes premiers vrais succès en affaires. Il était grand temps, car ça faisait des années que je bossais4 dur pour lancer ma business en ligne (si vous vous souvenez bien, c’était sur le sujet du crudivorisme).
Le succès n’est pas venu progressivement. Il est arrivé d’un coup. Je suis passé de fauché5 à une certaine prospérité en seulement un an. Il faut dire que ce succès “instantané” m’a un peu monté à la tête.6 Et pas seulement à moi.
Tera, ma partenaire d’affaires à l’époque, voulait me faire une surprise pour ma fête de 30 ans. Elle a décidé de me payer un voyage à Tahiti avec mon ami Andrew, qui travaillait aussi dans notre petite compagnie.
Pourquoi Tahiti?
Simplement parce que Andrew et moi, on blaguait souvent que quand les choses iraient bien, on allait “foutre le camp7 à Tahiti.” C’était une petite blague entre nous. Pour nous, Tahiti était un endroit paradisiaque à l’autre bout du monde. En fait, je ne savais pas vraiment grand-chose sur l’île, à part qu’elle était perdue quelque part dans le Pacifique.
Donc, pour célébrer nos récents succès et mon anniversaire de 30 ans, Tera a décidé d’organiser quelque chose de spécial. Une fête d’anniversaire avec ma famille et mes amis, durant laquelle j’ai reçu comme cadeau: deux billets aller-retour pour Tahiti, pour moi et mon ami Andrew. Et les billets étaient pour la semaine d’après!
J’ai finalement compris que Tahiti, c’était plus qu’une île
Tera était peut-être allée trop loin avec ces vacances forcées. Parce que finalement, elle nous a donné carte blanche pour organiser tous les détails du voyage… Bref, à part le billet d’avion, il n’y avait rien de prévu. Tera ne savait pas plus que nous ce qu’il y avait au juste à faire, à Tahiti.
Nous avons préparé le voyage à la dernière minute. En fait, tout ce que nous avons fait c’était de réserver l’hôtel à l’arrivée. Une nuit à Honolulu, et ensuite on repartait le lendemain pour Papeete, la petite capitale de Tahiti.
J’avais acheté un guide de voyage Lonely Planet, et seulement une fois sur l’avion, je l’ai ouvert pour me rendre compte que Tahiti, c’était bien plus qu’une île.
En fait, il y a cinq archipels8 en Polynésie française. Tahiti, ce n’est que l’île la plus peuplée de l’archipel principal, les îles de la Société.
Il y a 118 îles en tout, dont 76 sont peuplées.
Il n’y a que 300,000 habitants dans toute la Polynésie, mais le territoire est aussi grand que toute l’Europe!
La Polynésie est un territoire français d’outre-mer. La langue officielle est le français, mais on parle aussi le tahitien, et d’autres langues polynésiennes.
Plusieurs îles sont des atolls, c’est-à-dire des anciennes îles volcaniques dont le centre a disparu au fond de l’océan. Il ne reste qu’un anneau de terre entourant un lagon, et les gens habitent sur des petits îlots!
Tout cela était terriblement fascinant, et en lisant le Lonely Planet, j’avais envie d’aller visiter toutes ces îles, ce qui était impossible, puisque seulement quelques-unes d’entre elles étaient accessibles par avion.
Il fallait se décider.
Un voyage improvisé
Papeete n’avait rien d’impressionnant. C’était un petit port endormi et louche9. Notre hôtel, situé dans le tout petit centre-ville, était moche10. Pas trop loin de là, quelques prostitués, hommes et femmes, offraient leurs services. Nous avons décidé qu’il fallait quitter Papeete le plus tôt possible!
Nous n’avions que huit jours, donc sans perdre de temps, nous avons réservé le prochain vol pour l’atoll de Rangirora, ou “Rangi” pour les intimes. Il fallait voir de quoi ça avait l’air, un anneau de terre dans l’océan où des gens avaient choisi de vivre.
Le lendemain, nous avons embarqué à bord du petit avion en direction de l’archipel des Tuamotus, où il y a d’innombrables atolls. Rangiroa est en quelque sorte la capitale des Tuamotus.
Voir un atoll du ciel pour la première fois était un des plus beaux spectacles qu’il m’a été donné de voir dans ma vie. Un anneau de terre dans l’immensité du bleu. C’était exactement cela.
En fait, quand l’avion a amorcé sa descente, j’ai vraiment eu peur, tellement la piste d’atterrissage était courte. Mais le pilote était un pro, et sans aucune difficulté, nous nous sommes posés.
Nous avons passé quelques jours à Rangi, chez des Français qui avaient aménagé une petite baraque11 en auberge de voyageur. Sur l’atoll, il n’y avait pas grand-chose à faire. Une seule route de quelques kilomètres traversait la partie habitée. Pour se déplacer ailleurs dans l’atoll, il fallait partir en bateau.
J’avais obtenu l’année d’avant une certification de plongée sous-marine. J’ai donc plongé à Rangiroa, et c’était digne d’un roman de Jules Vernes. J’avais l’impression de découvrir un monde sous-marin miraculeux. Lors d’une seule plongée, j’ai vu des tortues marines, des petits requins sympathiques, une quantité incroyable de poissons, et des dauphins qui ont dansé avec nous!
Bora-Bora pour les pauvres
Où aller après Rangiroa? Selon les horaires de Air Tahiti, il fallait soit retourner en arrière à Tahiti, ou bien aller à Bora-Bora.
Bon, Bora-Bora était un nom que je reconnaissais. En fait, tout le monde a déjà entendu le nom de cette île mythique, réputée pour être la plus belle au monde. C’est donc là que nous sommes ensuite allés.
La vue du ciel de l’île était encore plus incroyable que celle de Rangiroa. Bora-Bora, c’était plus qu’une île: c’était un endroit créé par une puissance divine. Même pour un non-croyant12, il n’y avait pas d’autres mots.
À Bora-Bora, nous avons eu notre première expérience de deux réalités dans le Pacifique: le paradis des riches et celui des pauvres.
Même si j’avais eu une bonne année, il n’était pas question d’aller dépenser mille dollars par nuit pour un hôtel sur pilotis, conçu pour les jeunes mariés en lune de miel. Et soyons clairs, Andrew n’était qu’un pote13 !
Si Rangiroa était un anneau dans la mer, Bora-Bora est un stade avant cela. Une partie de l’île a commencé à s’enfoncer dans l’océan. Il y a donc l’île principale, sorte de joyau entouré d’un anneau composé d’îlots, le récif de corail. Entre les deux, le lagon à la couleur turquoise fluorescente.
Les hôtels de luxe sont donc situés sur les îlots, que l’on appelle les motus. Pourquoi? Parce qu’ils ont la plus belle vue, celle du lagon et de l’île. C’est comme un peu Paris: ce n’est pas dans la tour Eiffel qu’on a la meilleure vue de la tour Eiffel…
Sur l’île, nous avons trouvé une auberge vraiment pas chère, quelque chose comme $80 la nuit. Pourtant, nous avons eu une très belle expérience, car nous avons non seulement passé une journée sur le lagon, mais nous avons aussi découvert le vrai Bora-Bora, celui où les gens habitent.
Pourquoi parle-t-on français en Polynésie?
Avant de terminer mon récit de voyage, parlons un peu de langue. Évidemment, on parle français à Tahiti parce que la France avait un ancien empire colonial, et une partie du Pacifique en faisait partie.
Mais contrairement à Hawaii, où la langue hawaiienne a complètement disparu, on parle encore le tahitien en Polynésie.
Sur les îles de la Société, le français est plus courant. Quand on s’éloigne sur les petites îles, il parait qu’il y a des personnes âgées qui ne parlent que le tahitien. Mais c’est plutôt rare.
Dans les faits, tout le monde parle français en Polynésie. C’est la langue de l’éducation, la langue commune. Le tahitien est la langue de la religion, celle de la famille.
Un bateau pour Huahine
Après Bora-Bora, Andrew a insisté pour que nous prenions un bateau pour la prochaine île: Huahine. En fait, c’était un bateau réservé au transport de marchandises, où il y avait aussi quelques Tahitiens et aucun touriste à part nous. Au lieu de prendre quelques minutes, le trajet a pris plusieurs pénibles heures, durant lesquelles j’ai eu le mal de mer14.
Huahine a été notre coup de coeur de la Polynésie. C’était, en quelque sorte, le meilleur des deux mondes. Une petite île paradisiaque, mais à l’écart de la plupart des circuits touristiques.
Nous avons fait de belles rencontres là-bas, dont un couple de Tahitiens qui s’intéressaient à la santé naturelle. Ils nous ont fait découvrir le jus de Noni, un breuvage infect15 aux vertus thérapeutiques. Selon ces gens, c’était le secret de leur santé. Ils étaient en effet très minces et vigoureux, dans un pays où l’obésité est un problème.
Le retour s’est fait trop vite. Avant de partir, nous avons eu le temps de prendre le ferry pour Moorea, l’île juste en face de Tahiti. Les célèbres montagnes escarpées de cette île étaient un spectacle que nous devions voir avant de partir.
Tahiti m’a transformé
Ce voyage inattendu m’a transformé d’une façon subtile. Il se passait quelque chose en moi que je n’arrivais pas à comprendre.
Des années plus tard, j’ai lu quelque chose qui a mis des mots sur ce que j’ai ressenti en quittant les îles.
Si Tahiti a tant séduit, si le mythe de l’île paradisiaque a tant été vanté par les écrivains, artistes et penseurs de tout temps et que le rêve persiste encore, c’est tout simplement parce que la nature polynésienne est de toute beauté. Une beauté franche, évidente, objective même, qui s’applique à tous les paysages, tous ses éléments, ses lagons et ses montagnes, ses coraux et ses fleurs... On renoue avec l’harmonie de l’homme et de son environnement. Nombreux sont ceux qui confient être envahis de bonheur dès le retour dans les îles.
Qui a écrit ça? Je ne sais plus. Mais j’ai noté la citation.
Je savais qu’un jour, il fallait que je retourne là-bas. J’étais comme ensorcelé16. Même si tout cela n’était qu’un rêve, il y avait, derrière le rêve, quelque chose de vrai. Une partie de l’humanité qui s’était perdue. Une douceur que nous essayons en vain de retrouver ailleurs, dans notre poursuite effrénée17 du bonheur, à travers des nourritures terrestres comme la consommation, qui ne nourrissent pas l’âme, mais stimulent seulement son appétit.
Je me suis dit qu’une partie de moi appartenait désormais à la Polynésie. Il fallait que j’y retourne régulièrement, ne serait-ce qu’une fois tous les 10 ou 20 ans.
En tout, j’ai fait quatre voyages en Polynésie, le dernier en 2017.
À chaque fois, je restais plus longtemps. Chaque fois, je découvrais d’autres îles. Chaque fois, j’avais l’impression fugace18 que le rêve se rapprochait, mais l’instant suivant, je le sentais encore plus loin que jamais. Il devenait inaccessible.
Une phase m’est venue, que je me répétais en consolation, quand je partais des îles: continue de rêver, continue de rêver.
Inusité. Unusual.
Singulier. Here: peculiar.
Inatteignable. Unreachable.
Bosser. Travailler (langage familier).
Fauché. Sans argent (langage familier) .
Monter à la tête. Here: made me a bit crazy.
Foutre le camp. Get the hell out of…
Un archipel. Un ensemble d’îles (archipelago).
Louche. Sketchy.
Moche. Not pretty (langage familier).
Une baraque. Here: a shack (langage familier).
Un croyant. A believer. Un non-croyant. A nonbeliever.
Un pote. Un ami (langage familier).
Avoir le mal de mer. To be seasick.
Infect. Foul. Disgusting.
J’étais ensorcelé. Someone cast a spell on me.
Effréné. Relentless.
Fugace. fleeting.