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Le bilinguisme et Justin Trudeau
Est-ce que le bilinguisme est possible? Est-ce qu'on se trompe quand on parle de bilinguisme?
On va utiliser Justin Trudeau parce que c'est un exemple flagrant et lui-même a admis avoir des difficultés à s'exprimer en français.
On a entendu Justin Trudeau dire plein de choses un peu bizarres en français
Utiliser des mots anglais sans pouvoir trouver les mots français dans une phrase. Par exemple, “soyez safe et secure.”
Des phrases un peu bancales. “C'est ce que nous avons engagé à faire arrêter.” Donc, quelque chose qui, si on l'analyse, n'a absolument aucun sens en français.
Il semble chercher un peu ses mots.
Un linguiste dit qu'il est moins communicatif en français, que le rythme ne semble pas naturel, qu'il pense à sa conjugaison, au subjonctif. Il semble présenter un certain malaise. On a l'impression qu'il a hâte de passer à l'anglais le plus vite possible.
Bancal se dit d’un meuble dont les pieds sont inégaux. “Des meubles bancals.” On l’utilise au sens figuré pour parler de quelque chose qui manque de rigueur, d'équilibre. “Un raisonnement bancal.” ‼️ Attention le pluriel masculin est bancals, et non bancaux.
Il dit lui-même:
L'anglais c'est facile, tu pitches des mots ensemble et ça fait une phrase. Le français, il faut savoir un petit peu où on s'en va dans notre phrase.
Pour en avoir le cœur net, j'ai écouté une vidéo de plus de 20 minutes assez récente où Justin Trudeau s'exprime librement en français. Et ce que j'ai remarqué finalement en l'écoutant parler pendant 20 minutes, c'est qu'il parle très bien le français, mais il fait quelques petites erreurs.
J'en ai donc remarqué à peu près quatre ou cinq principales que j'aimerais souligner.
En avoir le cœur net veut dire être fixé au sujet de quelque chose, savoir la réponse.
Auquel + à
Par rapport à ça, même si on a juste 500 000 par année de résidents permanents, on parle d'un 2 millions de plus auxquels on ne s'y attendait pas.
Première petite erreur en français, il dit auxquels on ne s'y attendait pas.
Et je pense qu'ici, ça pourrait être une erreur qu'un francophone pourrait faire parce que c'est quand même une structure plus compliquée.
Donc l'erreur vient du fait que dans le pronom auquel, il y a déjà le sens de la préposition à.
Donc on s'attend à quelque chose.
On peut dire qu'on ne s'y attend pas. C'est-à-dire on ne s'attend pas à quelque chose.
On peut dire auquel on ne s'attendait.
Mais on ne peut pas dire les deux ensemble.
Erreurs de genre
Tu payes un gros pourcentage de ton loyer, de ton salaire en loyer, mais ça ne compte pas pour ton code de crédit.
Cote est un mot qui devrait être féminin, donc ça ne compte pas pour ta cote de crédit, pour une code de crédit.
Ce qu'on peut remarquer aussi, c'est qu'en fait, il ne s'en rend pas du tout compte. Si, par exemple, on fait une erreur comme ça en français, accidentellement, on va se corriger tout de suite après parce que c'est une erreur assez évidente de se tromper sur le genre d'un nom qui n'est pas généralement un mot où les francophones vont faire une erreur.
Un des gros problèmes au Canada, c'est que depuis quelques années, il y a eu une consolidation extrême dans tous les différents épiceries. Il y a maintenant juste cinq compagnies.
Encore une fois, il fait une petite erreur de genre de mot. Il dit dans tous les différents épiceries.
Évidemment, l'épicerie, c'est féminin et c'est un mot de tous les jours. Donc, ce n'est pas un mot où normalement on pourrait faire une erreur si on est francophone.
Les verbes pronominaux
La facture, elle va stabiliser. Je ne sais pas si elle va baisser, mais les revenus vont continuer à monter, les salaires vont continuer à monter et les prix devraient stabiliser dans les années à venir.
L'autre erreur que j'ai remarqué que Justin Trudeau fait de temps en temps, c'est avec les verbes pronominaux.
Il dit les prix vont stabiliser au lieu de dire les prix vont se stabiliser.
Ici, le verbe stabiliser peut s'utiliser de deux façons.
Comme un verbe transitif, c'est-à-dire stabiliser quelque chose. On va stabiliser le niveau de l'eau, par exemple, dans une rivière.
Et on peut l'utiliser comme un verbe pronominal, se stabiliser. Les choses deviennent stables en elles-mêmes.
Donc ça, c'est une notion un peu plus compliquée en français, et il semble de temps en temps faire des erreurs avec ça.
Niveau de langue
Mais le problème, c'est que d'une façon peut-être perverse, la stigmatisation faisait partie de la façon dont on dealait avec. Parce que si les gens n'en parlaient pas.
Ici, il dit quelque chose qu'on entendrait probablement d'autres Québécois dire, la façon dont on dealait avec.
En fait, ça m'amène à parler d'un autre aspect du français de Justin Trudeau. C'est qu'il semble incapable de moduler le niveau de langue qu'il utilise. C'est-à-dire qu'il parle toujours à un niveau assez familier. Mais contrairement à d'autres politiciens, par exemple François Legault, ça semble être quelque chose qu'il ne fait pas par exprès.
Mon évaluation
Donc, si Justin Trudeau était mon élève dans mes cours de français, je dirais que c'est un de mes meilleurs élèves! Vu du point de vue d'un anglophone qui parle le français, le français de Justin Trudeau est excellent.
Il le parle très bien, sans accent, il a un bon vocabulaire et de façon générale, il s'exprime très bien. Sur 20 minutes, j'ai trouvé quelques petites erreurs.
Mais si on analyse le français de Justin Trudeau du point de vue d'un francophone qui parle le français, on pourrait dire que son français comporte certaines lacunes importantes.
Donc, des erreurs qui sont acceptables quand on parle le français comme langue seconde, mais qui sont un peu inacceptables ou mystérieuses quand on le parle comme langue maternelle.
Pour son niveau d'éducation, pour sa place dans le monde, il s'exprime d'une façon très simple.
Un bon exemple du bilinguisme canadien
D'ailleurs, plusieurs francophones en situation minoritaire dans le reste du Canada trouvent que Justin Trudeau représente bien le français tel qu'on le parle ailleurs au Canada.
Une personne dit:
Quand je parle, je fais la même hésitation que M. Trudeau fait avec le humm et euh, mais c’est surtout parce que je cherche le bon mot.
Je pense qu'on ne devrait pas trop critiquer le français de Justin Trudeau. On devrait plutôt comprendre qu'il représente un peu le bilinguisme canadien.
C'est-à-dire que le bilinguisme en soi n'est pas magique. Ce n'est pas parce qu'on grandit dans deux langues qu'on va maîtriser les deux langues parfaitement.
Même si on a l'impression qu'une personne est parfaitement bilingue, souvent, on va, dans certaines situations, remarquer les forces et les faiblesses d'une langue.
Pour ce qui est de Justin Trudeau, je pense qu'il a expliqué dans l'article et dans une vidéo qu'il a grandi dans une ville anglophone et ensuite qu'il est allé au secondaire en français. Et cette partie-là de son enfance, qu'il a passée complètement en anglais, lui a causé des lacunes.
Il est arrivé au secondaire en français et il l'admet lui-même, il dit qu'il avait des difficultés.
Est-ce que le bilinguisme absolu est possible?
Chaque fois que j'entends quelqu'un dire que telle ou telle personne est parfaitement bilingue, j'ai toujours des doutes parce que je sais qu'en général, c'est pas si simple que ça atteindre le même niveau dans plusieurs langues et qu'il y a toujours une langue qui va devenir la langue principale à travers laquelle on peut s'exprimer de façon plus fluide et spontanée.
J'ai jamais pensé que c'était nécessaire de se rendre à un niveau de bilinguisme absolu ou même de parler comme un natif. Je trouve que c'est pas ce qui est le plus important.
Chacun devrait avoir les objectifs qui lui conviennent. Par exemple, je m'amuse à apprendre et à parler plusieurs langues, mais toutes ces langues n'ont pas la même importance pour moi. Par exemple, je m'intéresse beaucoup aux langues latines comme l'italien, l'espagnol, le portugais, mais j'en utilise certaines plus que d'autres.
Et la même chose pour l'allemand. J'ai une grande passion pour l'allemand, mais j'ai aucune intention d'aller vivre en Allemagne ou dans un pays germanophone. Donc, la façon dont j'apprends et je pratique ces langues est un peu différente de la façon dont j'ai appris l'anglais, par exemple, parce que j'avais vraiment besoin d'apprendre l'anglais et j'avais aussi besoin de l'écrire correctement.
Tandis que j'ai pas vraiment besoin d'écrire parfaitement bien l'allemand, par exemple. Mais j'aime améliorer mes compétences dans ces langues.
Qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce qu'on peut être parfaitement bilingue ou est-ce que ça dépend?
Si on analyse le niveau d'anglais de nos politiciens aux Etats-Unis (qui sont probablement tout a fait monolingue) on va être déçu! 😭
Bien que ton article porte sur le bilinguisme, tu ne définis pas le mot. Il est fort probable que même les linguistes ne soient pas tout à fait d’accord sur sa signification. J’aime l’analyse de Suzanne Robillard, sociolinguiste et professeure à l’Université d’Ottawa, qui a passé beaucoup de temps à travailler avec des jeunes bilingues en Colombie-Britannique. Suzanne se concentre sur ce qui se passe dans le cerveau. Pour elle, une personne véritablement bilingue pense aussi bien dans les deux langues et n’a pas besoin de traduire mentalement quoi que ce soit avant de s’exprimer. Elle ne parle peut-être pas l’une ou l’autre langue à un niveau extrêmement élevé, mais elle peut passer de l’une à l’autre de manière fluide et sans effort. Les francophones peuvent soupçonner que leur langue maternelle est l’anglais, et les anglophones peuvent soupçonner que leur langue maternelle est le français. Eux-mêmes, comme beaucoup de jeunes en Colombie-Britannique qui fréquentent des écoles francophones, ne savent pas s’ils sont francophones ou anglophones. Ils préfèrent simplement se dire «bilingues».
Soit dit en passant, le père de Suzanne Robillard, François (mais nous l’avons toujours appelé Frank), est un ami de l’époque où je fréquentais le collège militaire. La mère de François est très respectée et on se souvient d’elle en Colombie-Britannique comme d’une militante infatigable pour les droits des francophones dans la province. Je considère que François est vraiment bilingue selon ma définition. Je crois que Suzanne l’est aussi.
Par ailleurs, je serai très déçu si je tombe sur une vidéo YouTube décrivant la façon dont nos politiciens fédéraux francophones parlent l’anglais.